29/11/2018

Matthieu Havy (Génération) : « Le reste à charge zéro, c’est aussi une opportunité »

Figurant parmi les principaux courtiers spécialisés dans la délégation de gestion de contrats santé et prévoyance en collective, Génération anticipe déjà dans ses process et son offre de services l’arrivée du RAC 0 ou 100 % Santé. Et s’attend à une multiplication des demandes de devis.

Comment se dessine le marché de la gestion en santé et en prévoyance ?

Il y a plusieurs types d’acteurs : des porteurs de risque qui n’ont pas souhaité déléguer leur gestion, comme Harmonie Mutuelle, ou ceux qui conservent une part de gestion en interne pour certains de leurs clients et privilégient la gestion déléguée pour d’autres. C’est le cas d’Axa. Deuxième type d’acteurs : les purs gestionnaires comme Génération ou GFP. Enfin, certains courtiers comme Gras Savoye, Henner ou Vivinter (Siaci Saint Honoré) sont gestionnaires de leurs affaires et, ponctuellement, font de la gestion pour compte de tiers. Mais compte tenu des nécessaires investissements qu’entraîne la masse de réglementations que nous subissons, est-ce que certains acteurs, plus modestes, ne vont pas se retirer de la gestion ? Tout le monde ne pourra pas suivre ce rythme-là. Il y aura aussi une concentration des acteurs de la délégation.

 

Avec quels porteurs de risques travaillez-vous ?

Notre portefeuille est davantage constitué d’assureurs, même si cela s’équilibre un peu plus avec les institutions de prévoyance et les mutuelles. C’est le fruit de l’histoire car pendant longtemps, ces dernières ne s’inscrivaient pas dans une politique de délégation de gestion.

 

Quel type de contrats santé et prévoyance en collective gérez-vous ?

Quand Jacques Verlingue a créé Génération en 1996, sa vision était de faire de la gestion déléguée un vrai métier, fondé sur l’expertise et la satisfaction client, indépendant et ouvert à l’ensemble du marché. Cette vocation n’a pas changé : l’ADN de l’entreprise, c’est la gestion de contrats collectifs, majoritairement sur les grands comptes. Nous faisons certes un peu d’individuelle mais uniquement pour le compte des assurés ayant souscrit, en sortie de groupe, les offres santé ou prévoyance de notre société sœur, Coverlife.

 

Combien d’assurés gérez-vous ?

Nous comptons 1,8 million de bénéficiaires en santé et 500 000 en prévoyance. Au total nous gérons un catalogue de plus de 10 000 garanties en santé. Nous comptons parmi les acteurs les plus significatifs mais notre ambition n’est pas de devenir le plus gros, mais d’être le gestionnaire de référence. Nous employons 850 salariés, dont 650 sont basés à Quimper (et, bientôt, à l’Île-Tudy, juste à côté) et près de 200 à Lisbonne. Contrairement à nos confrères, qui sont organi­sés par pôles clients, nous le sommes par métiers, avec des ressources mutualisées. Une entreprise du CAC 40 ou une société de taille plus modeste sont gérées par les mêmes équipes.

 

Comment vos gestionnaires parviennent-ils à jongler entre autant de contrats ?

Nous formons tous nos salariés. Les métiers de la gestion, ça ne s’apprend pas à l’école. Une formation en frais de santé nécessite dix-neuf semaines. Le maître mot est la polyvalence. Chez nous, pas d’opposition entre front et back-office avec des gestionnaires spécialisés dans la relation client et d’autres dans la gestion. Tous doivent être capables de passer d’une activité à une autre.

 

Cette complexité des contrats santé est plutôt bonne pour le business, non ?

On double de taille tous les cinq ans. Le chiffre d’affaires de Génération croît de 15 % environ par an. En 2018, nous devrions être juste en dessous des 60 M€ (en croissance de 14 %) après une année 2017 un peu moins fructueuse (8 % de croissance), car les entreprises qui avaient choisi de ne pas basculer dans le contrat responsable en 2016 ont essay­é de tirer le trait jusqu’au terme de la période transitoire du 31 décembre 2017.

 

L’activité en 2018 a donc été très soutenue ?

Oui, parce que les effectifs que nous gérons ont augmenté, ainsi que les flux que nous recevons ! C’est vraiment un effet de la réforme du contrat responsable. Tout changement en profondeur d’un régime génère de l’inquiétude, du questionnement, parfois de l’angoisse. Le DRH, spontanément, se tourne vers le courtier avec qui il a bâti son programme. Mais comme ceux-ci sont devenus de plus en plus complexes, même pour les actes les plus simples, les assurés, eux, appellent spontanément leur gestionnaire. Le nombre d’appels, et leur durée, a littéralement explosé en 2018.

 

Est-ce pour cette raison que vous avez subi un mouvement social en juin ?

Les six premiers mois de l’année ont été toniques. Pour plusieurs raisons. L‘arrivée du contrat responsable a complexifié les choses, baissé les niveaux de remboursement, et donc augmenté le niveau de réclamation des assurés. Certes, parfois, cela a été compensé par des surcomplémentaires, mais nos équipes ont été amenées à expliquer à des assurés qu’ils allaient avoir des restes à charge… Génération a absorbé en 2018 une croissance d’activité importante, mais aussi une augmentation des flux et des sollicitations. Le temps qu’on recrute et que nous formions de nouveaux salariés, il a fallu augmenter le nombre d’heures supplémentaires et allonger nos délais de gestion, ce qui a entraîné du mécontentement. Les salariés ont traversé une période difficile. L’équilibre satisfaction client, performance de l’entreprise et vie familiale a été fortement chahuté. Cela s’est traduit en juin par un débrayage de quelques heures que nous avons entendu.

 

L’activité ne va pas se calmer avec la mise en place du reste à charge à zéro…

Oui, même si la principale préoccupation d’un DRH ou d’un patron de paie, aujourd’hui, c’est le prélèvement à la source. Il y a également d’importantes réflexions en matière de lutte contre l’absentéisme, le sujet n’étant pas de pointer du doigt le collaborateur qui est en arrêt mais de mettre en place des systèmes d’accompagnement du retour à l’emploi. Quant au reste à charge zéro, ou 100 % santé, nous y travaillons déjà. Si ce projet ajoute évidemment une nouvelle couche de complexité et l’obligation de revoir les contrats, il s’agit aussi d’une opportunité que nous anticipons dans nos process et notre offre de services.

 

Ce qui sera bon pour vous, in fine ?

À chaque fois qu’il y a une évolution réglementaire, on peut se dire que cela va entraîner une dynamique commerciale. Mais on entre dans un tel niveau de complexité dans l’expres­sion de la garantie que tout le monde est perdu. Je pense que nous allons faire face à une multiplication des demandes de devis. Pour nous, cette réforme sera synonyme d’évolutions informatiques, de formations internes et de flux supplémentaires que nous anticipons déjà.

 

Comment avez-vous géré la mise en place de la déclaration sociale nominative (DSN) ?

Cela a nécessité une adaptation de nos process et de nos systèmes informatiques ainsi que de ceux de nos clients. Ça n’a pas été simple. Entre le choc de simplification vanté par les pouvoirs publics et la réalité, cela a été le grand écart. On peut dire toutefois qu’au bout de deux ans, la DSN a rendu la gestion de flux plus régulière, plus normée, plus fluide. Aupa­ravant, on recevait des radiations par courrier, par mail, par fichier Excel. Aujourd’hui, nous n’avons plus qu’un seul flux, et celui-ci est beaucoup plus exhaustif.

 

Quelle est la feuille de route de Carline Huslin, (ex-Generali) qui vient de rejoindre le comex de Génération ?

Carline vient de prendre la direction de l’inno­vation et des services client, que nous avons créée en 2017. Il y a deux sujets : faire évoluer notre SI pour qu’il soit toujours aussi fiable et sécurisé. Et améliorer le front office afin de rendre compte auprès de nos assurés, dans un langage compréhensible de tous, de la qualité de notre outil de gestion. Avec Carline, Génération s’engage dans une transfor­mation digitale innovante qui redéfinit les relations avec ses clients et les modes de collaboration entre ses salariés. Elle va nous apporter son talent de simplificatrice pour réenchanter les parcours clients. La transformation digitale est en train de s’accélérer, c’est pourquoi nous avons également ouvert (NDLR : avec Verlingue) une digital factory basée à Nantes qui réunira des équipes pluridisciplinaires afin de gagner en agilité.